Sur les traces du passé familial : entre généalogie et histoire

Loïc Duchamp a fondé son cabinet de généalogiste professionnel à Tournon-sur-Rhône (Ardèche).

Vincent Vagman développe son activité de consultant en histoire en Belgique (Namur) depuis plusieurs années. Il lui a donné récemment une seconde implantation en Aude.

Loïc Duchamp et Vincent Vagman se suivaient en ligne et partageaient déjà des réflexions professionnelles depuis un certain temps.

Ils ont décidé de se rencontrer. En route de Belgique vers l’Aude, Vincent s’est expressément arrêté près de chez Loïc.

À découvrir sur cette page spéciale :

De la généalogie à l’histoire de sa famille :

→ les moments-clés d’un échange de vue entre passionnés par leur métier respectif

→ Avec de nombreux prolongements et des ressources en ligne. 

• Convergences entre la généalogie et l’histoire

Loïc Duchamp :

La pratique des généalogistes ne couvre qu’un aspect de l’histoire d’une famille. C’est celui qui consiste à établir un arbre généalogique et à l’enrichir de quelques informations directement relatives à des ancêtres, idéalement contextualisées.

Certes, un historien de formation pourrait aisément se limiter à une activité généalogique tandis qu’un généalogiste professionnel ne maîtrise pas tous les aspects de la discipline historique.

Mais une recherche généalogique – peu importe qu’elle soit prise en charge par un généalogiste ou un historien – ne m’en semble pas moins indispensable dans la manière débuter la reconstitution d’une histoire de famille.

J’ajoute que, pour le grand public, la généalogie est la grande voie d’accès au passé familial. Elle ne cesse d’ailleurs de s’élargir à la faveur d’une numérisation massive de sources généalogiques. Il devient plus aisé de trouver de premières informations en ligne sans devoir hanter les mairies et tous les dépôts d’archives. Pour approfondir, évidemment, la recherche devient plus exigeante et nécessite des consultations sur place. Sans oublier le recours à de la paléographie pour des documents plus anciens.

Vincent Vagman :

C’est un point de vue que je partage sans réserve.

La généalogie est l’ancêtre de l’histoire, rappelait déjà le Dictionnaire des sciences historiques d’André Burguière en 1986. Le grand médiéviste Georges Duby avait mis en évidence le lien qui existe entre la mémoire des ancêtres et la transmission du patrimoine (dans le Chevalier, la femme et le prêtre dans la société féodale, 1982).

Historiquement, la généalogie a pu bénéficier d’un travail de codification (à l’exemple du système de numérotation Sosa-Stradonitz inventé en 1590 par l’historien allemand Michel Eyzinger ou du traité de généalogie de Claude-François Menestrier et Jean Le Laboureur côté français en 1683).

Après avoir ensuite sombré une série de travers vaniteux ou mensongers – dixit Burguière, la  généalogie a retrouvé beaucoup de crédit. C’est heureux que sa réputation se restaure au rythme de sa démocratisation.

D’ailleurs, comme le prédisait également André Burguière bien avant l’émergence d’internet et l’entrée dans une ère de dématérialisation, la généalogie serait amenée à connaître un succès éclatant car elle est liée à une soif de réenracinement.

Et, de fait, sa démocratisation est effectivement sans précédent depuis quelques années.

Loïc Duchamp :

Les généalogistes professionnels se concentrent sur les familles et les individus. Ils utilisent des sources telles que les actes d’état civil, les registres paroissiaux, les archives notariales … pour retracer de parcours de membres d’une famille, leurs origines, leurs relations et leur évolution au fil du temps.

Et c’est ensuite que le rôle des historiens devient nécessaire même si les généalogistes utilisent des travaux d’historiens pour fournir un contexte qui complète leurs sources. Il faut à un moment donné sortir de la recherche généalogique proprement dite pour donner à l’histoire de famille sa vraie dimension.

C’est d’ailleurs ce que tu as mis en évidence en développant ta méthode consistant à extraire la sève de l’arbre généalogique.

Vincent Vagman :

La première étape de cette méthode (qui en compte 5) traite du point de départ : les  informations généalogiques disponibles. Je parle ici des sources (le plus souvent des archives) qui sont directement – nominativement dirais-je – liées à des ancêtres. Cette première étape comporte aussi la technique des périmètres familiaux pour bien les regrouper.

On quitte ensuite la généalogie proprement dite en passant aux 4 étapes suivantes de reconstitution de l’histoire d’une famille.

Cette méthode  permet aussi d’éviter les pièges classiques d’une contextualisation imprécise. C’est important car ils faussent parfois complètement l’idée qu’on se fait de la vie d’un ancêtre.

Au contraire, la méthode permet que chaque ancêtre devienne accessible en étant identifié à deux niveaux au-delà de l’approche généalogique proprement dite : son rôle non seulement dans la « grande Histoire » mais aussi au sein du déroulement de sa propre histoire de famille.

Je considère en outre que l’histoire d’une famille constitue bien davantage que la simple addition de vies d’ancêtres reconstituées.

Elle obéit à son propre rythme. Il est très instructif de pouvoir le déterminer. Le rythme selon lequel évoluent des branches familiales permet par  exemple d’expliquer uniquement à l’aide de faits purement historiques comment des ancêtres parfois lointains ont pu influencer notre propre vie.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’on évoque un cycle d’entreprise familiale étalé sur plusieurs générations. Ou bien que l’on cherche désormais à réhabiliter le rôle des femmes parfois oublié du simple fait qu’elles ont généré moins de sources utilisables aujourd’hui.

Sur la Grande Guerre, par exemple, certains vont jusqu’à évoquer une histoire de famille alors qu’ils se contentent d’utiliser (abondamment) toutes les informations aisément disponibles depuis le centenaire de 2018. On va même jusqu’à détailler des aspects anecdotiques observables sur des uniformes mais … sans dire un mot des épouses de « poilus ». OK, très bien. Mais, pour éviter cet angle de vue déformé par un déséquilibre des informations purement généalogiques, et donc quasiment oublieux de la « moitié féminine » de l’Histoire, il serait déjà tout simplement nécessaire d’analyser la résilience des épouses ou des soeurs de soldats disparus ou diminués. Et d’observer comment elles ont participé, d’un point de vue familial, à cette mutation professionnelle féminine typique de cette période. Dans quelle mesure, au niveau familial, l’ont-elles incarnée ou au contraire, s’en sont-elles démarquée ?

Si la généalogie privilégie des sources qui surlignent l’aspect militaire (dans l’exemple précité), l’histoire de famille n’en demeure pas moins bien plus large.

Et tout ceci sans même évoquer l’observation de ruptures mais aussi de continuités qu’il s’agit d’établir, dans des registres parfois très variés, avec les générations ultérieures.

C’est grâce à une telle approche que l’on s’affranchit de la généalogie pour entrer de plain-pied dans l’histoire d’une famille proprement dite. 

C’est pourquoi j’avais apprécié que dans tes écrits, tu ne tombes pas dans ce piège qui consiste à réduire une histoire de famille à des informations purement généalogiques vaguement contextualisées.

D’ailleurs, comme tu me le disais toi-même avec beaucoup de clairvoyance, cela reviendrait à confondre un livret généalogique avec un livre d’histoire familiale. 

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  • 8 astuces

Loïc Duchamp :

Revenons sur cet aspect si important de la contextualisation. Elle est inévitablement  liée à l’histoire locale.

De ce point de vue, on rencontre des difficultés lorsqu’on remonte à des périodes plus anciennes avec les premières générations identifiées. La tâche de contextualisation s’avère plus malaisée quand les informations généalogiques n’en disent guère davantage que des aspects de naissance ou de décès. Ou lorsqu’elles livrent des informations trop lacunaires en matière de résidence ou de métiers.

Vincent Vagman :

C’est exact. On entre alors dans ce que j’appelle la phase de chronique familiale : elle débute avec le plus ancien ancêtre connu et amorce une succession ininterrompue de générations. Mais les informations relatives aux ancêtres restent effectivement trop ténues que pour pouvoir se livrer à un exercice de véritable reconstitution historique. Cette phase de chronique familiale ne permet de produire que des historiettes avec une simple contextualisation assez rudimentaire et approximative.

L’histoire d’une famille proprement dite devient effectivement réalisable dès lors que les informations directement liées à des ancêtres s’enrichissent. Elles peuvent alors donner lieu à un véritable traitement historique. On est alors complètement sorti de la généalogie et on parvient à retracer le passé de cette famille au sens où il s’agit d’une collectivité humaine particulière qui se construit et perdure au fil du temps.

Pour la période qui précède, que l’on soit généalogiste ou historien, la matière première exploitable reste insuffisante. C’est ce que j’ai voulu formaliser dans une infographie du passé familial.

Histoire locale au service de la généalogie – En savoir plus :

Un ouvrage sérieux qui répond à la fois à bien des questions concrètes et qui ouvre des pistes de recherches et de travail méthodologiques sur des sujets pas toujours faciles à appréhender » (…)  À lire également avec un grand intérêt (…) : les interactions entre la « grande histoire » et l’histoire locale avec des conseils méthodologiques pour éviter les pièges et les erreurs que l’on retrouve encore trop fréquemment.

Thierry Sabot

Fondateur de Généalogie-Histoire

• Divergences entre la généalogie et l’histoire 

Loïc Duchamp :

Il n’en reste pas moins que les généalogistes s’entendent à identifier de nombreux ancêtres même si les données à leur sujet restent encore très rudimentaires. Cela nous renvoie à ces impressions d’arbres qui reflètent une arborescence gigantesque. Dans ce cas, les généalogistes peuvent avancer sans le secours de l’ensemble de la discipline historique. La généalogie relie des centaines ou des milliers de personnes à travers le temps.

Cette généalogie que je qualifie d’exhaustive est pourtant une réponse appréciée par une partie du public.

Vincent Vagman :

Tu as raison. J’en veux pour preuve par exemple les réalisations de Christophe Menu avec son art impressionnant de représenter ces généalogies si imposantes. S’y ajoutent de plus en plus d’autres possibilités de représenter le support de l’arbre selon des formes esthétisantes.

On constate donc des efforts de création très sympathiques. Mais on s’éloigne de l’histoire de sa famille … ou, plutôt, on n’y entre pas vraiment.

Loïc Duchamp :

J’imagine que, pour toi qui privilégies une approche plus historique, davantage qualitative qu’exhaustive, ce genre de recherche et de représentations liées au thème de l’arbre ne suscitent pas ton enthousiasme.

Vincent Vagman :

Au risque de t’étonner, je pense sincèrement qu’il faut nuancer.

Ce type d’approche que tu évoques très adéquatement (elle est effectivement « exhaustive ») répond effectivement à une demande du public. Il trouve un support d’identification à un passé familial sous la forme dun arbre généalogique. Et donc, si c’est une « expérience-client » du passé familial qui a son succès … pourquoi pas !

En ce sens, on ne peut que se réjouir de ce genre de recherches et de créations. Car cela signifie qu’une manière convient à un public de s’approcher du passé de sa famille, même si,en réalité, il l’effleure davantage qu’il ne le découvre réellement.

Là où, en tant qu’historien, j’émets une réserve, c’est sur un risque potentiel de mauvaise interprétation. Celui d’une perception du passé familial qui s’en trouverait caricaturée, biaisée.

Par exemple, il peut paraître sympathique de « cousiner » avec tel ou tel personnage célèbre (passé ou actuel). Mais quel véritable sens cela a-t-il ? … Récemment, j’observais un écho médiatique très éphémère en Belgique réservé au fait d’avoir pu identifier un lointain cousin belge de la chanteuse Beyonce. So what ? Quel sens peut-on vraiment en retirer ? Une gloriole éventuelle ? Qui ne reposerait que sur un grand hasard ? C’est un peu court … 

Par contre, il subsiste un danger de surinterpréter ce genre de lien si ténu, et surtout si fortuit. Dans ce cas, la généalogie retomberait dans de vieux travers que la chercheuse carcassonnaise Sylvie Sagnes a si bien disséqués.

Mais il existe d’autres perspectives bien plus fécondes pour la pratique généalogique.

Loïc Duchamp :

À ce sujet, la généalogie utilisée à un niveau collectif livre des enseignements précieux en matière d’histoire locale. Et les historiens peuvent y avoir recours.

Vincent Vagman :

Effectivement. Relevons par exemple les enseignements de la généalogie en matière de moblité sociale ou géographique, de transmission des biens, … Une véritable convergence entre généalogistes et historiens s’est d’ailleurs développée avec l’essor de la démographie historique car on travaille  sur les mêmes sources (état civil, actes notariés, …). je pense ici à la voie ouverte par l’historien Jacques Dupâquier.

Mais les historiens qui recourent à ces observations en retirent des indications qui dépassent le cadre de l’histoire de la famille qui nous occupe. Ils se situent davantage dans une histoire plus générale, liée à la vie quotidienne, à de l’histoire comparée, ainsi que, comme tu le disais, à de l’histoire locale.

Ceci étant, il y a encore une perspective très féconde pour la pratique généalogique. Je pense ici à la généalogie génétique à laquelle tu as bien eu raison de t’intéresser.

La généalogie, ses publics et ses supports – En savoir plus :

Publics généalogiques et multi-supports avec Loïc Duchamp :

Sur cette photo :  au micro de Déclic Radio (Vallée du Rhône)

Publics généalogiques et multi-supports avec Vincent Vagman :

Sur cette photo : consulting pour le Gedenkstätte Deutscher Widerstand (Berlin)

• Une préhistoire familiale !

Loïc Duchamp :

Peux-tu en dire plus ? J’ai lu que tu n’hésites pas à relier cette généalogie génétique à l’expression fort audacieuse de « préhistoire familiale » … !

Un passé existe avant l’apparition de l’écriture en Mésopotamie il y a 5 000 ans qui met fin à la Préhistoire et annonce l’entrée dans l’Histoire.

Mais quel est le rapport entre cette définition de la Préhistoire et l’histoire de famille ? Comment peut-on parler de « préhistoire familiale » ?

Vincent Vagman :

Comme tu viens de le rappeler, il existe un passé qui précède le moment où l’Histoire débute (avec l’écriture). De même, il existe un passé familial qui est antérieur à la succession intergénérationnelle d’une généalogie descendante (elle est d’ailleurs mouvante et recule dans le temps à coups de déblocages ou de nouvelles découvertes).

C’est en ce sens qu’un passé familial préexiste à la généalogie la plus complète. Ce passé constitue précisément ce que j’appelle la « préhistoire familiale ».

Un résidu de cette préhistoire familiale s’avère aujourd’hui assez prometteur car sa capacité à se relier aux générations récentes est mesurable : la généalogie génétique connaît d’ailleurs un engouement grandissant. C’est en ce sens que je salue ton intérêt pour ce sujet.

Loïc Duchamp :

Il est vrai qu’on peut voir la généalogie génétique sous cet angle. Je propose d’ailleurs en vidéo un  tuto sur le fonctionnement des recherches génétiques.

→ CONCLUSIONS

Procéder à la reconstitution historique d’une famille nécessite de s’affranchir des découvertes généalogiques proprement dites.

Elles n’en demeurent pas moins le point de démarrage incontournable.

C’est en ce sens que les généalogistes professionnels et les historiens interviennent de concert sur un même terrain de recherche.

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