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Une contribution de Geoffroi Crunelle, lauréat :

Le dernier sacrifice de jeunes résistants à Chalonnes-sur-Loire

Une petite ville qui n’a guère souffert de l’Occupation

Située au bord de la Loire, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Angers, chef-lieu du département de Maine-et-Loire, la commune de Chalonnes compte environ 3.600 habitants au moment de la Seconde Guerre mondiale. Elle est représentative d’une petite ville de province, où les troupes allemandes sont peu nombreuses et vont diminuer au fur et à mesure de la progression des libérateurs.

La population chalonnaise n’est pas plus résistante ou collaboratrice qu’ailleurs dans le département. On peut supposer – en insistant sur ce mot – que Chalonnes a eu les mêmes orientations que les autres villes françaises de même importance, où l’Occupation n’a pas été particulièrement pénible et où les habitants ont continué à vivre à peu près normalement.

Tout en demeurant anti-allemande, elle a supporté l’Occupation sans trop de souffrance.

La population est donc plutôt « prudente et spectatrice ». A l’image du reste de l’Anjou, aucune insurrection populaire n’a eu lieu en 1944, et seule une infime partie participe à des opérations de résistance, qu’elles soient militaires ou de renseignement.

Une résistance modérée, à l’instar de la plupart des petites villes de France

C’est près de Chalonnes que s’est déroulé l’un des premiers actes de résistance dans le département, avec le sabotage fin septembre 1940 d’une ligne téléphonique installée par l’occupant peu après son arrivée fin juin.

Chalonnes a été également l’un des 21 secteurs du réseau de renseignement belge Delbo-Phénix, créé en 1942 et qui devait disparaître en mars 1944 après l’arrestation de tous les cadres par les services de renseignement allemands.

Il est très difficile de connaître le nombre de résistants à Chalonnes et ses environs, d’une part parce que tous les résistants n’étaient pas des militaires, et que d’autre part tous n’ont pas demandé après la guerre leur carte de Combattant Volontaire de la Résistance (C.V.R.) (Cette carte est délivrée sous la condition d’avoir eu 90 jours d’activité effective dans la Résistance avant le 1er juin 1944).

La commune de Chalonnes n’aurait compté, avant le débarquement du 6 juin 1944, qu’entre 4 et 9 résistants, autant que dans les communes limitrophes, et seuls deux Chalonnais apparaissent parmi les quelques 1.700 membres de la Résistance intérieure ayant eu une activité en Anjou. Bien entendu, cela ne comprend pas toutes celles et tous ceux qui, à leur modeste niveau, ont agi : ils échappent aux statistiques du fait de n’avoir pas sollicité ou reçu ni récompense ni titre de la Résistance française.

Comme un peu partout en France, la plupart des habitants ne sont jamais entrés dans les mouvements de résistance, et sont demeurés relativement attachés à l’image « mystique » du maréchal. La Résistance n’existait que sporadiquement dans le département. Pour preuve, le nombre de cartes de C.V.R. délivrées en Maine-et-Loire : environ un millier, ce qui place le département à la 87e place sur les 90 existants à cette époque, soit à peine 0,21 % de la population en 1946 (la moyenne nationale étant de 0,66 %).

Comment expliquer cette faible proportion ?

D’abord parce que la région ne s’y prête pas : peu d’abris retirés, pas de grandes forêts, pas de retraites défendables.

De plus, elle est couverte de nombreuses routes propices aux poursuites et les habitations sont très rapprochées.

Ensuite, parce que les forces d’occupation allemandes à Angers sont nombreuses (On estime leur nombre entre 6 et 7.000, Angers hébergeant, entre autres, l’état-major de l’armée de l’air (Fliegerfüfrer Atlantik) pour la zone atlantique et le centre d’écoute de la radio anglaise B.B.C. ainsi que le quartier général de l’armée de mer (Kriegsmarine) pour l’Atlantique et la Manche, avec deux commandements (l’un pour sous-marins, l’autre pour navires).

La garde vigilante des voies de passage de la Loire est une de leurs priorités.

Cette configuration particulière amène la Résistance à délaisser des actions armées au profit du renseignement et de l’évasion.

Quelques membres de la 4e compagnie du 1er bataillon de marche F.F.I. de Loire-Inférieure, en septembre 1944. Au centre, le jeune Chalonnais Williams Schmit, âgé de 15 ans (©Fonds privé Jean-Philippe Chamaillet).

En mai 1944, l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.) ne compte que 350 hommes environ et 200 armes, moins de la moitié pour les autres mouvements (Armée Secrète, Francs-Tireurs et Partisans, etc…) donc au maximum 500 hommes pour tout le département.

Mais les effectifs vont grossir au fur et à mesure de la libération des villes : alors qu’ils étaient moins de 50 fin 1941, ils passent, pour l’O.R.A. seule, à 400 hommes en juillet et à plus de 1.800 en août 1944.

C’est dans ce contexte que se déroula un événement tragique, à quelques jours de la retraite allemande de Chalonnes.

La libération est proche

Arrivant du Nord, les troupes américaines ont libéré Angers le 10 août 1944. Dès lors, l’espoir d’une libération apparut de plus en plus proche. Mais Chalonnes se trouvant sur la rive sud de la Loire, il n’entrait pas dans les plans des Américains de franchir le fleuve vers le sud, leur but étant de se diriger le plus rapidement possible vers l’Est. Il incombait dès lors aux résistants locaux d’harceler les troupes allemandes en poste et de perturber au maximum leur retraite, qui allait se faire, à Chalonnes, dans la nuit du 29 au 30 août.

Dès le 11 août 1944, au lendemain de la libération de la ville, les nouveaux volontaires F.F.I. sont désireux de participer à la libération de leur pays. Formés en à peine 2-3 jours et armés sommairement, ils intègrent la toute nouvelle 3e compagnie du nouveau 1er bataillon ¼ de marche de Maine-et-Loire. C’est parmi ces résistants, pour la plupart très jeunes, que sont recrutés, le 25 août, une vingtaine de volontaires pour participer à la libération de Paris.

Le 26 août, à 1h30 du matin, la section quitte la caserne mais, au lieu de se diriger vers l’Est, le camion bifurque à l’opposé en direction de Nantes. Une demi-heure plus tard, elle prend un peu de repos dans une maison abandonnée de Saint-Georges-sur-Loire, à une vingtaine de kilomètres d’Angers, près de la rive nord de la Loire.

Vers 5 heures du matin, le groupe de F.F.I. part vers la Loire, tourne à droite avant le pont du Grand Bras, détruit par les Allemands, pour s’arrêter au lieu-dit Le Boyau, sur la rive droite, face à l’île de Chalonnes. Les Français sont épaulés par une auto-mitrailleuse américaine M16A1 à 4 canons de 12,7 mm, sous le commandement du lieutenant Hamel et de l’adjudant El Orabi.

Le drame se noue

Initialement, il s’agissait d’effectuer une patrouille de surveillance pour repérer l’éventuelle présence de l’ennemi, puisque l’île avait été vidée de ses habitants quelques jours plus tôt. Mais le sous-lieutenant René Cointet, suivant les ordres reçus du commandant Guyard de la 2ème compagnie, leur ordonne de s’y implanter.

Protégés par l’auto-mitrailleuse « 4 tubes », la vingtaine de résistants traverse en barque le bras du fleuve, face à La Soulouze, avec l’aide d’un passeur. Un premier groupe de 6 F.F.I. s’installe au lieu-dit La Petite Soulouze, distante de 500 mètres à l’ouest de plusieurs fermes qui forment un autre lieu-dit, La Soulouze.

Dans ce dernier hameau, un second groupe aménage une défense sommaire dans une ferme abandonnée.

Un troisième groupe se rend au lieu-dit L’Ofraie, situé 3 km plus loin à l’Ouest. Des matelas sont placés devant les fenêtres, les portes sont protégées par des meubles, des tranchées sont creusées derrière la ferme, et quelques soldats surveillent la petite route en direction de Chalonnes.

On ne sait pas exactement dans quelles circonstances les soldats allemands ont surpris cette petite troupe de résistants. On peut penser que les feux, allumés pour manger des volailles laissées en liberté, avaient été repérés par des guetteurs allemands placés sur les hauteurs des coteaux de la Loire, ou encore dans le clocher de l’église Saint-Maurille, qui offrait un point de vue panoramique sur l’île. Mais peut-être s’agissait-il d’une simple patrouille de reconnaissance dans l’île évacuée, la rencontre entre les deux adversaires aurait alors été purement fortuite.

Quoiqu’il en soit, la patrouille allemande, bien aguerrie et équipée de puissantes armes automatiques (dont un fusil mitrailleur MG42), essuie dans un premier temps le tir des F.F.I. retranchés à l’Ofraie. Cette arrivée des soldats allemands par l’ouest de l’île pourrait laisser penser qu’il s’agissait d’hommes venant de Montjean (petite ville se trouve en face de l’extrémité ouest de l’île, à une douzaine de kilomètres de Chalonnes, également sur la rive sud de la Loire). Mais peut-être venaient-ils de leur cantonnement à Chalonnes après avoir longé le sud de l’île.

Accrochage puis encerclement

Ce premier accrochage a lieu vers 14h30. Devant les forces ennemies supérieures en nombre, les résistants décrochent et tentent de retraverser la Loire. C’est à ce moment que Pierre Nédélec, jeune engagé volontaire quelques jours plus tôt à Angers, âgé à de 17 ans et demi, est mortellement blessé alors qu’il s’apprête à franchir le bras du fleuve. Son corps est emmené par le courant et ne sera découvert que 41 jours plus tard, le 5 octobre, accroché à l’une des piles du pont de Montjean-sur-Loire.

Tout va alors aller très vite. Avertis par les coups de feu, les six F.F.I. de la Petite Soulouze érigent rapidement une barricade. Julien Ferté, réfugié à Angers en juin 1944 suite aux batailles en Normandie dont il est originaire, âgé de 19 ans, s’était placé en sentinelle aux avant-postes. Il est tué d’une rafale ; les autres F.F.I. parviennent à décrocher et s’enfuir à travers les champs de chanvre, qui offrent une protection de par leur haute taille, et rejoignent La Soulouze tout en longeant la Loire. Un autre guetteur, le caporal Roger Perez-Moreyra, est abattu devant une ferme. Réfugié à Angers suite à son expulsion de Strasbourg avec ses parents en 1940, il s’était engagé à 15 ans dans la Résistance en 1941. Il n’a que 18 ans.

Certains arrivent à s’enfuir et traverser à nouveau le bras, cette fois à pieds, leur arme au-dessus de la tête, tentant d’éviter les balles tirées depuis l’île.

Les Allemands encerclent la ferme abandonnée de La Soulouze, où les jeunes Français, engagés à peine une dizaine de jours plus tôt, sans réelle formation et ne disposant que de fusils de récupération, n’ont guère d’espoir… Désemparés, ils n’ont plus que le choix de se rendre. Désarmés, ils sont alignés le long du mur de la ferme et mis en joue pour être fusillés. C’est à ce moment que des tirs nourris, provenant du half-track américain posté sur la rive nord de la Loire, sont dirigés vers les fermes de La Soulouze, sur les instructions de l’un de ceux qui avaient pu retraverser le fleuve. Deux fermes prennent feu, permettant aux prisonniers de profiter de la confusion pour s’enfuir vers la Loire. Mais tous n’y parviennent pas, quatre résistants sont repris et emmenés par les soldats allemands à Chalonnes.

Après le départ des Allemands de La Soulouze, seuls un F.F.I. et le lieutenant Hamel sont volontaires pour effectuer une nouvelle traversée du bras du fleuve en vue de ramener, sur leur dos, les deux jeunes tués à La Soulouze.

Épilogue

Julien Ferté et Roger Perez-Moreyra seront enterrés deux jours plus tard avec les honneurs militaires au cimetière de Saint-Georges-sur-Loire, sur la rive nord de la Loire, libérée depuis plusieurs jours. Pierre Nédélec et Roger Perez-Moreyra obtiendront tous deux le statut de Mort pour la France en 1948 et seront décorés à titre posthume de la Croix de guerre avec étoile de vermeil. Julien Ferté sera reconnu Mort pour la France fin 1950.

Les quatre prisonniers des Allemands partiront le 29 août avec les troupes allemandes en retraite, à destination de Bourges, pour y être fusillés, mais un bombardement aérien leur apporte un répit ; ils sont finalement déportés vers l’Allemagne. Par chance, le mitraillage de leur train près de Vesoul par des avions américains leur permettra de s’évader.

Les autres F.F.I. rescapés retournent à la caserne d’Angers avant de continuer des missions de surveillance de la Loire, cette fois vers Saumur au sein du 135e régiment d’infanterie, recréé le 1er septembre et encadré par des officiers du 1er Hussard. Ce régiment connaîtra une cinquantaine de morts au combat dans le soutien français au flanc droit de l’armée américaine.

Plaque commémorative posée par la municipalité de Chalonnes en août 2012 à l’endroit où sont tombés les trois jeunes résistants. Lieu-dit La Soulouze, île de Chalonnes-sur-Loire ( ©Geoffroi Crunelle) .

Les résistants tombés à Chalonnes dans les derniers jours de l’Occupation allemande, étaient tous très jeunes. Ils se sont engagés dès le lendemain de la libération d’Angers, la ville où ils vivaient, parfois depuis très peu de temps, pour participer activement à la libération de leur pays. Ils ont été victimes de leur inexpérience, de l’insuffisance de leur équipement, de la faiblesse de leur encadrement. Face à une patrouille allemande fortement équipée et aguerrie, ils n’avaient malheureusement que peu de chance d’en réchapper. Il n’empêche que leur sacrifice ne fut pas aussi vain qu’on pourrait le penser. Ils sont devenus localement le symbole du courage, du combat et don de soi pour la liberté.

Pour aller plus loin

Sources

  • Angers, Archives départementales de Maine-et-Loire, dossier Municipalité de Chalonnes-sur-Loire, cotes 417W21, 33W66
  • Chalonnes-sur-Loire, Archives municipales, cote 49AM1263

 Bibliographie

  •  AUDOUIN LE MAREC, Michelle, Le Maine et Loire dans la guerre 1939-1945, Le Coteau, éditions Horvath, 1987, 173 p.
  • BERGERE, Marc ; TELLIER, Pascal ; GUILLET, Serge, 1940-1945, des Angevins en résistance, Angers, Archives Départementales de Maine-et-Loire, 2016, 222 p.
  • CHAMAILLET, Jean-Philippe, Chalonnes, un pont sur la Loire (1939-1945), Chalonnes-sur-Loire, auto-édition, 2012, 91 p.
  • CHOLLET, Mathilde, Chalonnes-sur-Loire à travers les âges, Paris, Le livre d’Histoire, 1952, 157 p.
  • GOGENDEAU, Bertrand ; PHILIPPE, Dominique, « Angers, Honneur et Patrie  » – Le réseau de résistance angevin dirigé par Victor Chatenay (1940-1944), Paris, L’Harmattan, 2014, 155 p.
  • GOGENDEAU, Bertrand, Alezy, le lieutenant-colonel Jean Eynaud de Faÿ et la libération d’Angers, Angers, auto-édition, 2004, 255 p.
  • LESMESLE, Michel, L’Anjou des années 40, Cholet, éditions Choletais, 1994, 217 p.
  • LESMESLE, Michel, 1939-1945 à travers l’Anjou, Cholet, éditions Choletais, 1996, 129 p.

Avec Projet-Histoire : 

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