Travailler dans le tourisme généalogique : benchmarking, éthique et prospective

Entre histoire locale et généalogie, il arrive que l’histoire des origines prenne la forme d’une histoire des familles par-delà les frontières ou les océans. Une histoire qui donne lieu à une forme de pèlerinage.

Le concept de tourisme généalogique qu’ont inventé ces pèlerins de la mémoire familiale n’a pas toujours fait recette dans nos contrées.

Au contraire d’autres pays qui l’ont hissé au niveau d’un secteur touristique à part entière.

Mais d’autres opportunités se profilent désormais …

Petit tour d’horizon.

Une cible vieille  d’un siècle

La France présente aujourd’hui une image de parent pauvre dans un secteur du tourisme généalogique en pleine mutation.

Paradoxalement, c’est pourtant elle qui a servi de destination favorite pour le tourisme généalogique naissant et ses pionniers issus de la néo-bourgeoisie canadienne de la fin du XIX° siècle.

(D. Durbau, sous la dir. De M. de la Durantaye, Portrait historique de la pratique de la généalogie et son rôle comme vecteur de la transmission de la culture au Québec, Maîtrise en loisir culture et tourisme, Université du Québec de Trois Rivières, Québec, 2007, p. 30.)

Depuis lors, le tourisme généalogique s’est surtout développé dans d’autres pays originaires de grandes migrations.

Il vise d’autres diasporas et a parfois fait l’objet d’encouragements par des pouvoirs publics.

Dans le sillage de l’Irlande

Le cas de l‘irlande qui se développe dès les fifties reste très emblématique.

Une recherche commanditée par les autorités irlandaises constate (dans son premier white Paper on tourism) un réservoir de plus de 50 millions de touristes généalogistes potentiels !

D‘autres études observent en plus les fortes dépenses réalisées sur le territoire par ce public.

(C. Legrand, Du tourisme généalogique dans l’Irlande contemporaine, dans Revue de synthèse, 2002, 5e série, p. 131-147.)

Dans le sillage de l’Irlande, l’Écosse, la Grèce, la Pologne, la Roumanie, l’Allemagne, la Scandinavie et la Hollande ont bien compris l’opportunité de ce positionnement touristique vers une masse de descendants de migrants en quête de racines familiales.

P. Basu, Highland Homecomings : Genealogy and Heritage Tourism in the Scottish Diaspora, New York, Routledge, 2007.

Les cas français et belge du tourisme mémoriel

En Belgique, le tourisme généalogique fait davantage place à la pratique dune longue tradition de tourisme mémoriel :

  • Des descendants de soldats reposant dans les Flandres sont même venus en 2018 du Canada ou d’Australie pour se recueillir sur la tombe d’un ancêtre disparu ;
  • Des anciens GI’s désormais suivis par leurs familles ainsi que plus largement par un large public américain fréquentent les lieux de la bataille des Ardennes (à commencer par le « Verdun » américain : Bastogne).

Mais ce tourisme mémoriel familial ne répond pas à cette ambition de découvrir une terre ancestrale propre au tourisme généalogique.

De même, on s’interroge du côté français sur la manière de pérenniser l’effet du centenaire de la « grande Guerre »  mais sans véritablement creuser la piste du tourisme généalogique.

En réalité, c’est une autre manière d’honorer des disparus qui motive le tourisme généalogique.

Et elle n’est pas liée à un aspect commémoratif collectif.

Au coeur du tourisme généalogique

Le tourisme généalogique correspond davantage à la vieille pratique du pèlerinage religieux sur des lieux saints.

Il se décline sous des formes analogues de pèlerinage familial : une présence sur des lieux emblématiques est perçue comme une manière de réduire la distance causée par l’absence d’un être absent mais avec qui on a construit une forme d’intimité et que l’on n’hésite pas par ailleurs à « sublimer ».

Ce constat a pour conséquence d’inviter les historiens et les généalogistes professionnels à une précaution d’ordre éthique.

Pourquoi une précaution d’ordre éthique ?

On constate encore aujourd’hui (!) chez certains généalogistes des projections personnelles (certes de plus en plus rares) liées au simple fait de « cousiner » avec tel ou tel personnage « célèbre ».  Alors qu’il est difficile d’attribuer un sens à cette résultante très lointaine du … hasard.

Que dire dès lors lorsque certains touristes généalogiques puisent leur motivation dans une projection ou une perception fantasmée de leur(s) ancêtre(s) ? Qui est évidemment très éloignée d’un intérêt historique voire mémoriel pour sa famille …

S. Sagnes, De terre et de sang. La passion généalogique, dans Terrain, Revue d’ethnologie de l’Europe, 1995, n° 25.

Face à ces dérives potentielles, loin de les encourager, le rôle de l’historien ou du généalogiste professionnel chargé(s) de baliser un voyage généalogique devrait idéalement  veiller à :

  • s’en tenir aux faits ;
  • éveiller à ce qui les rend décelables ;
  • baliser ce que l’on peut en retenir d’un strict point de vue de la compréhension du présent.

Il ne devrait pas être le complice d’une projection personnelle dans le présent personnel de son client. Et rester ainsi dans le strict cadre de sa pratique (Ces questions sont fréquemment abordées dans le Journal of Heritage Tourism).

Ce rappel peut sembler d’autant plus nécessaire que des facteurs récents inspirent un renouveau du tourisme généalogique.

2 indicateurs de renouveau :

De manière révélatrice, un renouveau se manifeste dans le foisonnement des termes : tourisme des racines, voyage de retour, tourisme génétique, etc …

N. Tomczewska-Popowycz, & V. Taras, The many names of “Roots tourism”: An integrative review of the terminology. Journal of Hospitality and Tourism Management, 2022, 50, 245-258.

Au-delà de ce signe encourageant, 2 indicateurs de renouveau sont à l’œuvre.

Ils s’inscrivent dans le contexte post-covid et sa recrudescence des voyages et contribuent à dessiner le tourisme généalogique de demain.

  • Une nouvelle fascination pour la recherche des ancêtres

Elle prend la forme d’une recherche plus active d’authenticité : un public devenu plus mobile souhaite entreprendre des voyages pour découvrir son enracinement dans un lieu.

Le monde numérique fait aussi apparaître de nouveaux besoins d’intimité.

Cette authenticité suppose de ne plus se contenter d’une archive numérisée téléchargeable à des milliers de kilomètres de distance lorsqu’un passionné veut s’imprégner d’une odeur de vieux papier revêtu d’une signature familiale.

  • L’essor des kits de tests ADN vendus directement aux consommateurs

Le nombre de personnes ayant fait analyser leur ADN à l’aide de tests généalogiques en vente directe a dépassé les 12 millions en 2017(même si ce n’est pas encore autorisé partout). Cette année-là, plus d’individus ont fait analyser leur ADN que toutes les années précédentes réunies.

Pour le rédacteur en chef du Journal of Heritage Tourism Dallen Timothy, cette tendance est susceptible d’élargir le marché du tourisme généalogique en attirant les jeunes générations qui y vient une ouverture sur le passé familial à l’abri des microfilms si peu appréciés.

Share This