La voie délaissée du métier d’historien
De nombreux diplômés d’histoire rêvent de faire de l’histoire dans leur métier.
Quoi de plus légitime.
Pourquoi ne pourraient-ils évoluer comme les ingénieurs, les avocats, les traducteurs et tant d’autres métiers où l’on utilise directement, développe et approfondit ce qu’on a choisi d’étudier ?
En pratique, seule la voie de l’histoire subventionnée reste explorée. Résultat ? Beaucoup d’appelés et peu d’élus …
Les études d’histoire constituent aussi une formation appréciée pour divers métiers … Mais qui sont étrangers à l’histoire !
Trop de présentations des études sur les sites des universités le laissent encore entendre.
Faudrait-il dès lors sciemment choisir des études par goût pour mieux s’en éloigner ?
Comment éviter un tel gâchis ?
Université de Nantes :
Université de Genève :
Cinq ans après la fin de leurs études, les diplômés en histoire se trouvent répartis dans les secteurs suivants :
- 15 % dans l’enseignement : primaire, secondaire, universitaire
- 32 % dans le secteur public : journalisme, administrations locale, cantonale ou fédérale, institutions culturelles, etc.
- 54 % dans le secteur privé : presse, relations publiques, analyse, banques…
L’histoire subventionnée : beaucoup d’appelés et peu d’élus …
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En quoi consiste la pratique de l’histoire subventionnée ?
Elle consiste à pratiquer l’histoire (chercher, créer des contenus et les communiquer) dans des organismes non viables sans le concours de subventions : les universités, les centres de recherche, les archives publiques ou les grands musées …
L’enseignement (secondaire) de l’histoire échappe à cette définition dans la mesure ou la méthodologie et la pédagogie prennent le dessus sur la recherche et les publications de tous supports. Exercer le métier de professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire relève évidemment d’une fonction aussi noble qu’indispensable. Elle ne revient pour autant à pratiquer réellement le métier d’historien.
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Pourquoi l’histoire subventionnée est-elle nécessaire ?
L’histoire subventionnée est nécessaire lorsqu’elle abrite ou fait abriter :
- la récolte et la sauvegarde d’un patrimoine public
– soit parce qu’il n’intéresse qu’une mission publique (éviter sa destruction physique ou sa récupération idéologique)
– soit au contraire parce son intérêt public exige de le préserver d’une spéculation ou d’une marchandisation
- une activité de recherche fondamentale
Il en va en réalité de même pour toutes les disciplines universitaires.
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En quoi l’histoire subventionnée est-elle limitée du point de vue du métier d’historien ?
Elle ne peut répondre à toutes les vocations. Ni absorber les nouveaux historiens qui apparaissent chaque année sur le marché de l’emploi. Et qui souhaiteraient travailler dans leur domaine d’étude.
Il serait d’ailleurs assez malsain que chaque emploi d’historien doive reposer exclusivement reposer sur des subventions, une aide ou un statut public.
L’histoire non subventionnée : une piste prometteuse mais délaissée
La discipline historique s’intéresse malheureusement encore bien trop peu au poids de l’histoire en tant que marché économique.
Il faut remonter à 1994 pour disposer d’un premier essai d’inventaire et d’une véritable réflexion sur le sujet (dans le monde francophone).
Autrement dit, il faut remonter à des temps révolus … même si certaines intuitions demeurent interpellantes.
Guy Thuillier et Jean Tulard identifiaient l’effet de 4 préjugés sur la méconnaissance de l’offre et de la demande de l’histoire – synthèse :
- L’histoire serait faite par des « universitaires ». Or beaucoup de diplômés d’histoire cherchent et publient en dehors de cette sphère.
- Le goût de l’histoire ne serait satisfait que par la lecture (livres et revues). Or le « besoin d’histoire » concerne aussi le son, l’image, l’objet …
- L’histoire serait indépendante de la politique. Or tout ce qui touche au passé a une signification proprement politique.
- La demande d’histoire reste du domaine de quelques spécialistes ou érudits. Impossible à satisfaire dans ces conditions sachant combien cette demande est multiforme, variable, souvent intime.
Beaucoup plus récemment, l’université de Paris-Est Créteil s’est penchée sur le sujet. Avec une question qui ne résonne pas très familièrement aux oreilles de nombreux confrères : l’histoire fait-elle vendre ?
Qu’en retenir ?
L’histoire marchande reste encore assez inexplorée dans le monde des historiens.
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Pourquoi l’histoire marchande est-elle prometteuse ?
Parce qu’elle
- attire des milliers de personnes dans de grandes expositions (notamment privées)
- inspire les séries télévisées ou les jeux vidéos
- fait grimper l’audimat de certaines émissions
- devient la raison même de chaînes payantes
- inonde les étals de librairies
Le public féru d’histoire est vaste et varié.
Les différents publics qui assurent ce succès dépensent. Réellement.
C’est en ce sens que l’histoire a une valeur marchande.
Tout cet engouement donne à l’Histoire son véritable poids économique. Elle occupe une part importante de l’économie culturelle.
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Une histoire marchande bien trop délaissée par les historiens
L’exploitation de cette histoire marchande constitue donc un champ d’activités professionnelles légitime pour les historiens.
Malheureusement, il est pourtant malaisé de trouver une success story imputable aux historiens.
Toussaint ROZE est président du conseil d’administration de l’entreprise Filae qui a été créée en 1994. Le chiffre d’affaires de la société en 2018 s’élève à 3 037 744 €.
Reprendre la main ?
Sans s’égarer dans une fausse question …
Aux yeux de beaucoup, la nécessité d’offrir une histoire de qualité suppose encore l’imprimatur du monde scientifique.
Transposer ce préjugé tenace déjà identifié par Guy Thuillier et Jean Tulard reviendrait à considérer par exemple :
- qu’un ingénieur ne peut construire un pont
- un juriste ne peut construire sa plaidoirie
- un traducteur ne peut proposer sa traduction
sans la caution de sa faculté.
L’histoire serait-elle une des rares disciplines où la recherche fondamentale n’inspire pas des recherches appliquées appliquées réalisées en toute autonomie ?
Histoire marchande et histoire subventionnée : une différence qualitative ?
L’histoire marchande complète et prolonge l’histoire subventionnée.
Les trop rares praticiens de l’histoire marchande ne cessent de s’inspirer des productions académiques et de l’histoire subventionnée pour fabriquer leurs produits et concevoir leurs services.
Poser la question d’une différence qualitative entre l’histoire marchande et l’histoire subventionnée revient à comparer des pommes avec des poires.
Car l’histoire marchande fait essentiellement œuvre de vulgarisation.
Et cette vulgarisation gagnerait d’ailleurs en qualité si les historiens de métier la pratiquaient eux-mêmes.
(Espérons que Stéphane Bern ne nous lit pas !)
Reprendre la main ?
Les vertus et les limites de l’histoire dite « publique »
Guy Thuillier et Jean Tulard se réjouiraient toutefois de considérer le développement de l’histoire dite « publique »
Elle se développe de plus en plus comme la ressource par excellence pour pratiquer une vulgarisation qualitative de l’histoire.
L’histoire publique :
- s’est érigée en un domaine d’action spécifique dans des centres de référence amenés à se tourner vers le grand public ou sollicités par les médias
- a conquis sa place dans certains programmes universitaires outre-Atlantique et se développe dans les universités européennes (à l’exemple de la finalité spécialisée en communication de l’histoire proposée par l’Université de Louvain-la-Neuve – Belgique)
Malheureusement, l’histoire publique en Europe conserve une frilosité à l’égard de l’histoire marchande (à l’exception peut -être de l’Allemagne – voir un exemple)
Reprendre la main ?
L’enjeu de l’entreprenariat en histoire
En réalité, la pratique de l’histoire marchande fait surgir une approche malheureusement encore trop souvent étrangère à bon nombre d’historiens : celle de l’entreprenariat.
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En dehors d’une approche idéologique
Il serait malvenu de considérer ce propos sous un angle idéologique.
La libre entreprise et le profit sont admis par les principales familles politiques qui recouvrent une part écrasante de l’opinion publique (chacune selon ses sensibilités).
L’imposition du monde de l’entreprise apporte d’ailleurs sa quote-part au financement de l’histoire subventionnée.
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L’éloignement du monde académique
Mais les historiens fraîchement diplômés restent privés de bons réflexes que pourrait leur suggérer le monde académique.
Des professeurs d’université qui enrichissent leur enseignement :
- en sciences appliquées parce qu’ils développent en parallèle leur startup
- en droit parce qu’ils restent inscrits au barreau et continuent de plaider
- en médecine parce qu’ils gèrent en parallèle des pans entiers d’un hôpital
ne présentent pas d’équivalent dans le monde de l’histoire.
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Pas de pessimisme injustifié
Faudrait-il dès lors considérer un paradoxe de manière encore plus cruelle ?
Les historiens ne seraient appelés qu’en nombre trop restreint à pratiquer le métier qu’ils ont appris.
Leur formation de qualité leur ouvre d’autres portes au prix de l’abandon d’une vocation.
Sans toutefois disposer d’un bagage pour acquérir des compétences entrepreneuriales ?
Cette vision pessimiste est injustifiée.
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Inventer un nouveau métier ?
Le véritable enjeu consiste plutôt à prendre en compte l’apparition de nouvelles pratiques professionnelles.
Au regard :
- des opportunités technologiques actuelles
- des opportunités de consultation et d’utilisation d’une masse grandissante de sources
Pour répondre à une « demande d’histoire » confirmée.
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Les seules véritables questions qui comptent
En ce sens, il n’y a véritablement que 2 préoccupations qui vaillent :
- identifier les vrais besoins d’histoire et les publics qui les expriment
- transformer les solutions à ces besoins en produits et services adaptés à ces publics
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